Guerre au Yémen, une semaine décisive pour la paix

Guerre au Yémen, une semaine décisive pour la paix

Après bientôt 8 ans de guerre civile, le Yémen entrevoit l’espoir d’un apaisement. Le 2 avril dernier, une trêve d’une durée de 2 mois est entrée en vigueur entre les forces pro gouvernementales et les rebelles Houthis. Le 7 avril, le Président en fonction a renoncé à ses pouvoirs.

Cette guerre civile s’inscrit dans le prolongement de la guerre du Saada débutée en 2004, qui opposait le pouvoir central aux rebelles zaïdistes (Houthis) du nord-ouest du pays qui se disaient marginalisés et revendiquaient plus de considération de la part du gouvernement. En juillet 2014, les Houthis se lancent dans une politique de conquête territoriale et capturent la ville d’Amran le 8 juillet, qui marque le début de la guerre civile yéménite encore en cours aujourd’hui. Très vite les Houthis arrivent à Sanaa, capitale du pays. Le Président Hadi est alors contraint de fuir vers Aden, plus au sud. Depuis les Houthis ont gagné du terrain, ils contrôlent désormais l’essentiel de toute la partie nord-ouest du pays, la plus peuplée. Le gouvernement contrôle lui Aden et la grande partie désertique du pays.

Entre temps le conflit s’est internationalisé. Dès 2015, l’Arabie Saoudite, à la tête d’une coalition sunnite, apporte son soutien au gouvernement en bombardant des positions Houthis, notamment dans la capitale Sanaa récemment capturée. De l’autre côté, les Houthis chiites sont soutenus par l’Iran qui fournit logistique, armes et missiles balistiques (notamment de fabrication nord-coréenne). Mais les iraniens n’interviennent pas de manière directe dans le conflit, pas même pour la formation des rebelles Houthis. Le Yémen est donc devenu le terrain de bataille entre l’Arabie Saoudite sunnite et l’Iran chiite. Les pays occidentaux comme les USA, la France ou encore le Royaume-Uni offrent eux un soutient logistique à l’Arabie Saoudite. Les exportations d’armes sont souvent dénoncées par les ONG. Les Houthis eux répliquent aux frappes Saoudiennes en lançant régulièrement missiles et drones piégés en Arabie Saoudite, notamment sur les villes voisines de Jizan et Najran, même si parfois des villes plus lointaines comme Dammam sont visées.

En rouge, le territoire contrôlé par les rebelles Houthis

En septembre 2021, la guerre a connu une étape importante, les Houthis ont lancé une vaste offensive sur Marib, dernière grande ville du nord-ouest du pays encore sous contrôle loyaliste. Elle a une position stratégique car elle se situe à la porte du désert d’Arabie et de ses vastes réserves pétrolières. L’Arabie Saoudite multipliaient alors ses frappes aériennes pour tenter de stopper l’avancée Houthis, les pertes des rebelles s’élevaient parfois à plus de 100 morts par jours selon les chiffres communiqués par les Saoudiens. Depuis, si la ville n’est pas tombée aux mains des rebelles, les combats continuent. Les Houthis lancent régulièrement des offensives faisant des dizaines de morts dans les deux camps.

Vidéo d’un hélicoptère Mi-24 des Houthis en plein combat aux abords de la ville de Marib.

Depuis le début de l’année 2022, les Houthis n’hésitent pas à frapper les pays membres de la coalition sur leurs sols. Les Émirats Arabes Unis ont subi une attaque sans précédent en janvier dernier. À l’aide de missiles de croisière, des missiles balistiques et des drones, les Houthis ont visé une zone industrielle d’Abu Dhabi. L’attaque avait tué trois civils et en a blessé six autres. Un système de défense antimissile américain THAAD avait notamment intercepté un missile balistique lors de cette attaque. Il s’agissait alors de la première utilisation connue du système américain dans une opération militaire.

Plus récemment le 25 mars, une frappe de missile à Jeddah contre une installation d’Aramco avait provoqué un immense incendie et mis en péril le déroulement d’un Grand Prix de Formule 1 se déroulant à quelques kilomètres de là, certains acteurs de la compétition voyant un risque accrue pour la sécurité de l’événement à rayonnement mondial.

Au milieu des combats, l'arrivée inespérée d'une trêve

Depuis la fin du mois de mars, les efforts pour arriver à un cessez-le-feu se sont intensifiés. Le 30 mars, lors d’un sommet sur la guerre convoqué par le Conseil de Coopération du Golfe basé en Arabie Saoudite, boycotté par les Houthis car se déroulant en « territoire ennemi », la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite annonce la mise en place d’un cessez-le-feu, juste avant le début du Ramadan. Dans un premier temps la proposition est rejetée. Selon le responsable des Houthis Mohammed al-Bukaiti : « Si le blocus n’est pas levé, la déclaration de la coalition n’aura aucun sens car les souffrances des Yéménites à la suite du blocus sont plus graves que la guerre elle-même », évoquant les ports et l’aéroport de Sanaa, essentiels pour l’approvisionnement en biens sur le territoire Houthis.

Communiqué du Conseil politique suprême des Houthis dénonçant l'absence d'accord avec le gouvernement le 30 mars

Sous la houlette des Nations Unis et de l’envoyé spécial de l’ONU pour le Yémen, Hans Grundberg, les deux parties sont finalement tombées d’accord pour une trêve de 2 mois à compter du 2 avril, la première trêve depuis 2016. Cet accord permet l’arrêt des opérations militaires offensives, y compris les attaques transfrontalières, et l’autorisation pour 18 navires pétroliers d’entrer dans le port de Hodeidah tenu par les Houthis ainsi que certains vols opérant depuis l’aéroport de Sanaa vers la Jordanie et l’Égypte, conformément aux demandes des Houthis.
« Le but de cette trêve est de donner aux Yéménites une pause nécessaire à la violence, un soulagement des souffrances humanitaires et surtout l’espoir qu’une fin à ce conflit soit possible », a déclaré Grundberg dans un communiqué, ajoutant que la trêve pourrait être renouvelée.

Conditions de l'accord signé entre les Houthis et le gouvernement yéménite le 2 avril

Le Président yéménite renonce à ses pouvoirs

Dans une allocution télévisée le 7 avril, quelques jours après la trêve signée entre les forces pro-gouvernementales et les Houthis, le Président du Yémen exilé à Riyad, Abdrabbo Mansour Hadi, annonce renoncer à ses pouvoirs et les transférer à un nouveau Conseil présidentiel.

Le Président a déclaré que cette mesure visait à faciliter la phase de transition de la coalition anti-Houthis divisée et que le conseil pourrait négocier avec la milice Houthis pour tenter de mettre fin à la guerre civile au Yémen. Le vice-président Ali Mohsen al-Ahmar, une figure puissante, a également été démis de ses fonctions, le nouveau conseil reprenant ses responsabilités.

Le conseil sera dirigé par le général de division Rashad al-Alimi, qui était ministre de l’intérieur sous le régime de l’ancien président Ali Abdullah Saleh. Alimi sera assisté de sept adjoints, issus d’un groupe diversifié de parties prenantes politiques et de tribus soutenues par l’Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis, ou les deux. Parmi eux figurent Aydarus al-Zubaydi, chef du Conseil de transition du Sud, un parti sécessionniste, et des membres du parti al-Islah, allié aux Frères musulmans.

L’Arabie Saoudite a salué l’annonce du président Hadi et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman a rencontré les membres du nouveau conseil présidentiel. Les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite se sont engagés à verser 3 milliards de dollars au Yémen à la suite de cette annonce. 

Des signaux ouvrant l'espoir d'une paix durable

Avec cette trêve, les organisations internationales y voient plus que jamais l’opportunité de mettre fin à cette guerre meurtrière, et les déclarations de Hadi en faveur de négociations renforcent les espoirs de paix. Bien que quelques jours seulement après l’entrée en vigueur de la trêve, le ministre des Affaires étrangères du Yémen a accusé les Houthis de « violations » du cessez-le-feu. Les rebelles ont également rapporté des « violations » de la trêve de la part des troupes progouvernementales. Le 7 avril, les Houthis ont fustigé le conseil présidentiel nouvellement formé, déclarant que « l’avenir du Yémen doit être décidé à l’intérieur du Yémen » et qualifiant le conseil de « farce » pratiquée par « les pays de l’agression ».

À l’approche du 8ème anniversaire du début du conflit, il semble malgré tout que le contexte soit plus favorable que jamais pour une paix durable dans ce conflit oublié de beaucoup. Il faut dire que les images du front sont rares.

Selon l’ONU le bilan humain atteindrait 377 000 morts. À partir de ce chiffre, 154 000 morts sont imputés à la suite de combats directs et 223 000 morts à la suite de la famine ou des maladies. Le rapport de l’ONU indique que sur le nombre total de décès, 259 000 victimes sont des enfants de moins de cinq ans. L’ONU a également dénoncé l’embrigadement d’enfants-soldats et le recours à la violence sexuelle. La porte-parole de l’Unicef a déclaré que 10000 enfants ont été tués ou blessés depuis le début de la guerre. La situation humanitaire au Yémen est l’une des pires au monde, près des trois-quarts de la population auront besoin d’une assistance humanitaire en 2022, et la guerre en Ukraine n’arrange pas la situation, environ un tiers du blé utilisé au Yémen provenant de Russie et d’Ukraine.