Bombardement de l’ambassade de France au Soudan

Bombardement de l’ambassade de France au Soudan

Le 23 octobre dernier, les rebelles des Forces de Soutien Rapides (RSF), en guerre contre l’armée régulière depuis le 15 avril, ont annoncé qu’un bombardement aérien avait touché l’ambassade de France à Khartoum, causant des « dommages importants ». Si le bâtiment vidé de son personnel a effectivement été touché, les dégâts ne sont que « faibles ». Retour sur le processus de vérification de cette information.

Le 15 avril 2023, les RSF du général Hemeti ont tenté de prendre le dessus sur l’armée régulière du général Al-Burhan, de facto dirigeant du pays depuis le coup d’État de 2021. D’intenses combats ont lieu depuis dans tout le pays, jusqu’au Darfour. Plusiurs trêves ont été mises en place pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, mais celles-ci n’étaient que peu respectées. Les combats se sont poursuivis, notamment dans la capitale Khartoum, incluant des frappes aériennes et des tirs d’artillerie. À plusieurs reprises ces derniers mois à Khartoum, des bombardements touchant des marchés ou des zones résidentielles ont tué des dizaines de civils. Tous les quartiers de la capitale ont subi les conséquences de ces affrontements meurtriers (les dernières estimations de l’ONU font état de plus de 9000 morts en 6 mois), mais les environs de l’aéroport, situé en pleine ville, ont certainement été le théâtre des affrontements les plus violents.

C’est en effet dans cette zone que l’on trouve la majorité des bâtiments institutionnels comme différents ministères, les quartiers généraux des trois corps d’armée, ou encore de nombreuses ambassades, parmi lesquelles l’ambassade de France, située au sud-ouest de l’aéroport. 

Depuis le 25 avril, l’ambassade de France à Khartoum est fermée en raison des combats dans la capitale. L’ensemble du personnel a été évacué et les activités diplomatiques s’opèrent désormais depuis Addis-Abeba en Éthiopie voisine.

Le 23 octobre 2023, un communiqué des Forces de Soutien Rapide (RSF) diffusé en arabe et en anglais annonce « un bombardement aérien sur l’ambassade de France, causant des dégâts importants au bâtiment », en accusant l’armée régulière d’en être responsable.

Ce n’est pas la première fois que les RSF annonce le bombardement d’une ambassade à Khartoum. Trois semaines plus tôt les rebelles annonçaient que l’ambassade d’Éthiopie, située à moins de 500 mètres de l’ambassade de France, avait été « attaquée » par des soldats des forces armées soudanaises et des miliciens associés.

À la suite du communiqué des RSF du 23 octobre, ni l’armée soudanaise ni les autorités françaises n’ont officiellement réagi.
De plus, il s’avère qu’après quelques recherches, aucune photo ou vidéo pouvant montrer d’éventuels dégâts sur l’ambassade de France n’a été publiée sur les réseaux sociaux. Depuis les premiers jours suivant le déclenchement du conflit, il est bien souvent difficile d’établir les faits suite à un évènement ayant lieu à Khartoum et au Soudan de manière générale, les moyens de communication étant devenus restreints.

Vérification par images satellites

Puisqu’aucune confirmation ou infirmation n’a été diffusée par les autorités ou un témoin sur place, des vérifications en sources ouvertes peuvent être appropriées. Le meilleur moyen pour se renseigner sur un éventuel bombardement important d’un bâtiment est probablement de regarder les images satellites.

Plusieurs résolutions d’images ont été utilisées pour tenter de confirmer le bombardement. Tout d’abord les images basses résolutions. Disponibles gratuitement sur Sentinel Hub, ces images sont actualisées à chaque passage des satellites Sentinel sur chaque zone du globe, soit en moyenne tous les 3 jours.

Sur cette comparaison satellite entre le 19 et le 24 octobre, on distingue qu’une tâche noire, qui pourrait s’apparenter à une zone brulée, est apparue à l’endroit où se trouve l’ambassade de France. Malheureusement la résolution est bien trop faible pour déterminer quelle est l’origine de cette tâche. Il est donc nécéssaire de passer à une résolution de meilleure qualité.

Le 26 octobre, un satellite avec une résolution plus faible (1.5 mètre) passait au-dessus de la zone, malheureusement couverte par les nuages et ne permettant pas de voir l’ambassade. Une image était enfin disponible à l’achat le 28 octobre. Avec une résolution de 0.5 mètre, dès lors il allait être nettement plus facile de distinguer les détails.

 

Grâce à cette image, il est possible de déterminer que peu de dégâts sont à déplorer autour de l’ambassade. Visiblement aucun incendie d’importance ne s’est produit comme pouvaient le laisser croire les images basses résolutions.

 

Les limites de l'OSINT pour vérifier une information

Si cette image satellite permet de déterminer que l’ambassade de France est encore debout, elle ne permet pas en revanche d’exclure qu’un bombardement ait eu lieu.

En effet si toutefois il est peu probable qu’un éventuel bombardement ait causé des « dégâts importants » au bâtiment comme l’ont affirmé les RSF (le toit étant entièrement intact et aucun débris n’étant visible autour de l’édifice), il n’est pas impossible qu’un obus ait touché une façade du bâtiment, non-visible sur l’image satellite. 

Afin de pouvoir confirmer ou infirmer avec certitude cette information, il va alors falloir tenter d’obtenir une réponse officielle. La France n’ayant pas officiellement réagi, le Projet Fox a donc sollicité les autorités françaises. Une source au sein du Ministère des Affaires étrangères a confirmé au Projet Fox que l’ambassade de France à Khartoum a bien été touché « par erreur » par un bombardement le 23 octobre. Les dégâts sur l’ambassade, vide de ses occupants, sont évalués à « faible » par les autorités.

Aucune image des dégâts n’a toutefois pu être transmise, signe encore une fois de la difficulté pour obtenir des informations sur place. Il sera également très difficile de déterminer l’origine de ce bombardement, si tant est qu’une enquête soit ouverte un jour.

Selon la carte de Sudan War Monitors qui établi les positions tenues par l’armée régulière et par les Forces de Soutien Rapides, le quartier dans lequel se trouve l’ambassade française est contrôlé par les rebelles. À noter toutefois que l’armée régulière contrôle une majeure partie du quarter des institutions, à moins de 3 kilomètres de l’ambassade.
Si l’hypothèse d’un tir provenant de cette zone controlée par l’armée régulière vers le quartier où se trouve l’ambassade de France qui est tenu par les rebelles semble cohérente, il n’est pas possible de la confirmer. Il n’est également pas possible de déterminer quel objectif était réellement visé, l’ambassade ayant été touchée « par erreur ».

Carte en date du 29 octobre répertoriant des frappes de drones - Sudan War Monitor

Les perspectives de paix sont minces pour ce conflit qui s’apprête à entrer dans son 7ème mois de guerre. Une guerre qui ne bénéficie que d’une très faible couverture médiatique, et pour laquelle l’accès à une information fiable est particulièrement difficile, même avec les techniques de recherches en source ouverte comme dans le cas de cet évènement.