Ingérence étrangère : Analyse du Groupe d’Initiative de Bakou

Ingérence étrangère : Analyse du Groupe d’Initiative de Bakou

Le 16 mai 2024, alors que la Nouvelle-Calédonie est en proie à de violentes émeutes à la suite d’un projet de loi visant à dégeler le corps électoral, le ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin accuse l’Azerbaïdjan d’ingérence, avec en chef de file le Groupe d’Initiative de Bakou. Cet article reprend deux thread de @NeuroneIntel ayant décrit les méthodes du groupe et son lien avec le pouvoir.

Origines et liens avec le pouvoir azerbaïdjanais

Depuis le début des émeutes en Nouvelle-Calédonie le 13 mai, l’Azerbaïdjan est étonnamment présent sur le devant de la scène, avec en point d’orgue les propos accusatoires du ministre de l’Intérieur. L’image du drapeau azerbaïdjanais sur un t-shirt d’une indépendantiste avait également suscité la curiosité en début de semaine. 

Pourtant cela fait maintenant plusieurs mois que l’Azerbaïdjan s’est immiscé dans les affaires calédoniennes, aux côtés des mouvements indépendantistes. En témoigne, par exemple, la présence des drapeaux du pays lors d’une manifestation indépendantiste en janvier dernier, le portrait du président azerbaïdjanais en mars ou encore la mention du Groupe d’Initiative de Bakou sur des affiches de manifestations indépendantistes.

L’Azerbaïdjan a déjà tenté des opérations de déstabilisation en Nouvelle-Calédonie. En décembre 2023, deux espionnes se faisant passer pour des journalistes ont été repérées par le renseignement français en marge d’une visite du ministre des Armées de l’époque, Sébastien Lecornu, sur l’île. En fin d’année 2023, Paris accusait également l’Azerbaïdjan d’être derrière une campagne de désinformation visant à boycotter les JO2024.

C’est dans ce contexte, découlant des tensions entre les deux pays suite au soutien de la France à l’Arménie, ce qui provoque l’ire de Bakou, qu’a été créé l’ONG Groupe d’Initiative de Bakou en juillet 2023. Une conférence organisée par les autorités azerbaïdjanaises où étaient invités des indépendantistes de Martinique, Guyane, Polynésie ou encore de Nouvelle-Calédonie, a abouti à la création de ce groupe, « contre le colonialisme français ». C’est le point de départ de toute une série de rapprochement entre ces mouvements indépendantistes des DROM-COM français ainsi que plus marginalement la Corse, et l’Azerbaïdjan. 

Depuis plusieurs mois, des représentants de mouvements indépendantistes de DROM-COM français ont participé à des rencontres, des visites ou des conférences organisées par le Groupe d’Initiative de Bakou. Point d’orgue de ce rapprochement avec Bakou : La signature pour la mise en place d’un mémorandum de coopération entre le Parlement d’Azerbaïdjan et la Nouvelle-Calédonie, signée unilatéralement par une élue indépendantiste calédonienne le 18 avril dernier.

Très impliqué sur les sujets de lutte contre la colonisation et particulièrement en Nouvelle-Calédonie, le Groupe d’Initiative de Bakou n’est pourtant pas une ONG banale. 

Elle est actuellement dirigée par Abbas Abbasov, citoyen azerbaïdjanais.

Sur le profil Facebook de ce dernier, on y trouve le partage d’un post du Groupe d’Initiative de Bakou relayant une vidéo du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, où celui-ci vante les mérites de l’ONG, “créée en Azerbaïdjan”.

Dans une autre allocution quelques mois plus tôt, dont les extraits sont largement partagés sur la page de l’ONG, le président parlait du Groupe d’Initiative de Bakou comme “notre enfant” que “nous créons”, avec lequel “nous organisons des évènements”. Il affirme également que “nous contribuerons à la dénonciation du néocolonialisme français ainsi qu’au processus de libération des colonies françaises du joug colonial français”.

Les activités du Groupe d’Initiative du Bakou sont donc approuvées et promues par le pouvoir politique azerbaïdjanais au plus haut niveau. La question de savoir si cette ONG a été montée de toutes pièces par les autorités peut également être posée. C’est d’autant plus le cas que le compte Twitter du Groupe d’Initiative de Bakou ne suit que 3 personnes : Le Président, la vice-Présidente et dirigeant du département des Affaires étrangères azerbaïdjanais.

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L'utilisation de bots à de multiples reprises

En plus de nouer des liens avec les mouvements politiques indépendantistes et de soutenir les manifestations sur place, le Groupe d’Initiative de Bakou est également très actif sur les réseaux sociaux.
En effet, les cibles de la ligne éditoriale du compte sont dans une écrasante majorité la France et ses DROM-COM, dont la Nouvelle-Calédonie qui est particulièrement mentionnée, ainsi que dans une moindre mesure la Corse.

Au-delà des publications directes du Groupe d’Initiative de Bakou, ces derniers jours plusieurs vagues de publications en tout point similaires entre elles ont été repérées, ciblant la France dans le contexte des émeutes en Nouvelle-Calédonie.

Ces campagnes de déstabilisation font d’ailleurs l’objet d’une fiche technique du service Viginum, sortie le 17 mai. Uniquement sur Twitter, ces publications ont été copiées-collées par plus de 1600 comptes pour un total de plus de 5000 posts. Le rapport précise que sur bon nombre de ces comptes, une mention de l’Azerbaïdjan est visible, que ce soit visuellement en photo de profil ou dans la biographie où le parti présidentiel est mentionné. Ces comptes relaient également les mêmes contenus faisant l’éloge du président Aliyev et de son parti. Or cette méthode d’artificialisation de l’engagement sur Twitter, qui équivaut à l’utilisation massive de bots, a également été observée par le passé pour promouvoir des publications du Groupe d’Initiative de Bakou. En effet en explorant certains des hashtags utilisés actuellement pour la Nouvelle-Calédonie, comme #FrenchColonialism, on retrouve des centaines de publications partageant des visuels du Groupe d’Initiative de Bakou, suivant le même pattern, comme ici en février 2024.

D’autres probables campagnes du même type ayant été menées l’année dernière pour l’ONG font appel aux mêmes comptes relayant actuellement les publications sur la Nouvelle-Calédonie, preuve d’un réseau bien établi et organisé.

Tous ces éléments indiquent donc qu’il est très probable que le Groupe d’Initiative de Bakou est en lien direct avec le pouvoir politique azerbaïdjanais et utilise des bots pour artificiellement partager des publications hostiles à la France afin de lui nuire. Malgré cela, le pouvoir azerbaïdjanais dénonce des accusations d’ingérence « infondées » et des propos « insultants » de la part de la France et dément tout lien avec les leaders indépendantistes.

Il est toutefois important de noter que cette ingérence étrangère n’est pas la cause de la révolte en cours des indépendantistes. Celle-ci vise uniquement à amplifier artificiellement, de manière difficilement quantifiable, une colère qui a des racines historiques profondes. Ce rapprochement, opportuniste, de l’Azerbaïdjan avec ces mouvements indépendantistes vise à déstabiliser la France et lui faire payer son soutien à l’Arménie, sans probablement une réelle volonté de Bakou d’accompagner à long terme ces mouvements uniquement dans leur objectif d’indépendance.