L’Afrique, proie des grandes puissances
L’Afrique représente à elle seule 20% de la surface des terres émergées du globe. Avec plus de 1,3 milliard d’habitants, c’est le deuxième continent le plus peuplé après l’Asie et celui dont la croissance démographique est la plus forte. Aidé par sa démographie et par ses ressources naturelles, le continent est destiné à une forte croissance qui attise naturellement, une fois de plus, la convoitise des grandes puissances étrangères.
L’ère coloniale étant révolue, place à celle du Soft, voire du Hard Power. Il sera ici fait un état des lieux des influences françaises, turques, russes et chinoises.
La France en Afrique, les vestiges de la Françafrique ?
L’histoire entre la France et l’Afrique est riche et commence dès 1830 par la conquête d’Alger, jusque-là sous régence turque. S’en suit l’ère coloniale française au Maghreb, hors Libye, et au Sahel. Ces pays ont tous obtenu pacifiquement leur indépendance en 1960, sauf l’Algérie en 1962, éloignant drastiquement Paris de ses anciennes colonies. La France n’a toutefois pas totalement coupé ses liens, notamment économiques : le Franc CFA, vestige de cette époque, n’a engagé sa disparition que l’an dernier, en 2020.
Aujourd’hui, la France est présente diplomatiquement dans 47 pays d’Afrique et militairement avec plus de 8000 soldats sur le continent. Les échanges commerciaux entre la France et l’Afrique représentent quant à eux environ 54 milliards de dollars.
La France, présente au travers de quatre bases permanentes sur le continent
- Les Forces Françaises à Djibouti (FFDj) : un ensemble de 1450 soldats dont le commandant est le Général de division aérienne Eric Gernez. Leur présence est formalisée par un accord de coopération fin 2011. Cette base offre un accès vers l’Océan Indien et à la mer Rouge. La France a de bonnes relations avec ce pays dont le Président s’est rendu en visite officielle à Paris le 12 février dernier.
- Les Forces Françaises en Côte d’Ivoire (FFCI) : un ensemble de 900 soldats dont la base a été Construite en 2015 suite à un vote de l’Assemblée nationale ivoirienne, en 2014, comme nous pouvons le lire sur le site du Ministère des armées :
« Par leur positionnement géographique, la qualité de leurs infrastructures portuaires et aéroportuaires et les capacités de leurs emprises, les FFCI constituent une plateforme stratégique, opérationnelle et logistique majeure sur la façade Ouest-africaine »
- Les Éléments français au Gabon (EFG) : un ensemble de 370 soldats, à propos duquel le Ministère nous indique également que :
« La mission principale des EFG s’inscrit dans le partenariat militaire opérationnel. Les actions de coopération régionale visent plus particulièrement à accompagner les États africains dans le renforcement de leurs capacités de sécurité collective pour contribuer à la stabilité régionale. »
- Les Éléments français au Sénégal (EFS) : un ensemble de 400 soldats, déjà présents depuis 2011 suite à un traité entre les deux pays. Contribuant, par son action, à l’approche globale de sécurisation du continent africain, les EFS ont réalisé des missions de formation au profit des armées nationales, au Sénégal pour 25% d’entre elles, comme dans douze autres pays de l’Afrique de l’Ouest toujours selon le Ministère.
L'opération Barkhane : un rappel de la présence française par la force
L’opération Barkhane est, elle, une opération militaire lancée le 1er Aout 2014 et menée au Sahel par l’armée française. Cette zone englobe 5 pays : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. La diplomatie française affirme que le but de cette opération est de permettre aux Etats partenaires d’acquérir la capacité d’assurer leur sécurité de manière autonome.
A ce jour, ce sont 5100 soldats français qui y sont déployés. D’autres pays soutiennent également l’opération à moindre mesure : le Royaume-Uni, l’Estonie, le Danemark et la République tchèque ont par exemple déployés entre 60 et 100 soldats chacun. Les États-Unis apportent quant à eux un soutien logistique et participent activement au renseignement notamment grâce à l’envoi de drones. Ainsi, bien que capable d’apporter ses fondations à l’opération Barkhane, la puissance française est contrainte à dépendre en partie de ses partenaire occidentaux, et révèle à moindre mesure un affaiblissement de son autonomie d’intervention.
L'Organisation Internationale de la Francophonie, outil majeur de Soft Power
La France s’affirme également en Afrique grâce à un Soft Power porté par l’OIF, l’Organisation Internationale de la Francophonie (couramment appelée la Francophonie). Cette organisation vise, selon ses membres, à promouvoir la langue française, la diversité culturelle et linguistique, ainsi que la paix, la démocratie et les droits de l’homme, et enfin appuyer l’éducation, la recherche et le développement de la coopération.
En effet, 54,7 % des locuteurs quotidiens du français dans le monde se situent en Afrique, cela représente 116 millions d’Africains. L’organisation dispose également de deux bureaux régionaux dont un à Libreville (Gabon) et un à Lomé (Togo). Entre 2010 et 2013, le budget annuel moyen de l’OIF était de 85 millions d’euros et a sans doute participé à la conclusion de nombreuses affaires entre partenaires français et africains.
Une politique françafricaine handicapée par le sentiment post-colonial
Les autres puissances étrangères n’hésitent toutefois pas à s’en prendre aux différents outils d’influence français en Afrique. On parle par exemple souvent de Françafrique, de manière péjorative, afin de pointer du doigts le passé colonial de la France sur le continent.
Récemment, le 20 novembre 2020, Emmanuel Macron accusait par exemple la Turquie et la Russie de « jouer sur le ressentiment post-colonial » en Afrique afin d’y mener une stratégie de contre-influence contre la France. Quel intérêt ? La Turquie et la Russie ont elles aussi leurs intérêts à défendre dans cette région du monde.
La Turquie en Afrique, le retour post-ottoman
La présence passée de la Turquie en Afrique est moins connu et plus ancienne que celle des pays occidentaux. Elle se limitait néanmoins aux côtes méditerranéennes et celles de la mer rouge. Cette histoire commence très tôt, dès 1517, lors de la conquête de l’Egypte par le sultan Selim I. Elle rencontre son apogée en 1683 puis décline à partir du XIXème siècle. En 1830, l’Egypte prend son indépendance et Alger est conquise par les Français. Cette parenthèse de quatre siècles prend finalement fin en 1911 lorsque l’Italie dérobe la Libye aux Ottomans.
Soft & Hard power
Passant de 12 ambassades avant l’AKP, parti du Président turc Recep Tayyip Erdogan, à 47 en 2020, la Turquie a développé l’un des plus grand réseau diplomatique d’Afrique. Elle a pratiqué une diplomatie humanitaire en apportant son aide à beaucoup de pays africain via ses ONG. Ce pays, qui est le premier exportateur de farine au monde, profite de sa puissance agricole pour mener à bien ses projets. Bien que ses liens commerciaux soient limités en comparaison à ses concurrents, ils s’accentuent à grande vitesse. Les exportations turques s’élèvent ainsi à 16 milliards de dollars. La compagnie aérienne Turkish Airlines dessert quant à elle 60 destinations sur le continent à ce jour, contre 4 en 2008, soit plus que n’importe quel autre pays au monde.
La Turquie travaille son image chez les populations musulmanes des pays du Maghreb au travers des séries télévisées, ce qui fait d’Ankara le deuxième exportateur de séries au monde derrière les États-Unis. Le pays participe activement à la restauration des mosquées, au développement de l’éducation et de la culture sur le continent.
La Somalie
La Somalie est le fer de lance de la stratégie turque en Afrique. Elle abrite une base militaire turque où 200 soldats, dont des formateurs sont sur place pour former environ 10 000 soldats somaliens. Le pays offre un accès direct à la mer d’Arabie puis vers l’océan indien. Il contrôle, comme le Yémen, la porte du golf d’Aden vers la mer Rouge.
Les échanges bilatéraux sont passés de 183 millions de dollars à 250 millions entre 2018 et 2019. Les investissements turcs en Somalie y ont excédé les 100 millions de dollars. Le 4 novembre 2020, la Turquie a même purgé le restant de la dette somalienne auprès du FMI.
La Libye
La stratégie turque en Libye est plus complexe. Le pays, en guerre civile, est séparé en deux. À l’ouest, dans la tripolitaine, le gouvernement d’union national (GNA) présidé par Fayez el-Sarraj et reconnu par l’ONU. À l’est, dans la cyrénaïque, l’armée national libyenne (ANL) dirigée par le maréchal Haftar. Les troupes de l’ANL avaient assiégé Tripoli avant l’intervention turque. Cette intervention fait suite à un double accord de défense et de délimitation maritime entre les deux pays, le 27 novembre 2019.
Suite à l’autorisation du parlement turc à l’envoie de troupes. La Turquie s’est ouvertement impliquée militairement en faveur du GNA. Grâce à ce soutien, le GNA a repoussé l’ANL. La ligne du front est aujourd’hui figée autour de la ville de Syrte.
L’accord sur les zones maritimes et l’intervention turque ont provoqué des tensions diplomatiques notamment entre la France et la Turquie. Le Quai d’Orsay penche en faveur de l’ANL du général Haftar qui est soutenue par l’Egypte, les Emirats Arabes Unis et surtout la Russie. Le pays de Vladimir Poutine, tout comme la Turquie, a déployé ses mercenaires sur le sol libyen. Le gouvernement du GNA, quant à lui, est soutenu par la Turquie, le Qatar et semble avoir les faveurs de l’Italie.
Le 2 Octobre 2020, l’ONU a finalement certifié l’accord de délimitation maritime entre la Turquie et la Libye.
À venir : un article plus détaillé sur le dossier Libyen par le Projet FOX
La Russie s'élance dans la course africaine
L’URSS avait déjà des liens avec certains pays africains grâce à une idéologie en opposition avec celle des pays occidentaux lors de la période post-coloniale. Avec la chute de l’l’Union, la Russie n’a pas réellement su préserver ces liens. Elle s’est longtemps désintéressée du continent Africain. Cependant, depuis 2016 et grâce à une tournée africaine du Ministre des affaires étrangère Sergeï Lavrov, nous observons un tournant dans la politique russe en Afrique.
La Russie possède 40 ambassades sur le continent. Plus de 20 accords de coopération militaire ont été signés depuis 2017. Il n’y a plus de doute, la Russie investit massivement en Afrique et dans tous les secteurs. Sa présence concurrence agressivement la France et les réseaux d’affaires russes sont présents pour peser sur les opinions. La Russie insiste bien sur l’absence d’un passé colonial et sur le soutien de l’Union Soviétique à l’indépendance des pays africains.
Les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Russie sont aujourd’hui estimés à 22 milliards de dollars mais ce chiffre est à nuancer car l’Egypte, à elle seule, représente déjà 7,7 milliards.
Les armes russes, le nerf de la guerre africaine
La Russie est le premier vendeur d’armes sur le continent avec environ la moitié des parts de marché. Ses concurrents, la Chine et les États-Unis, atteignent approximativement les 13%.
L’Algérie, à elle seule, représente plus de 50% des ventes d’armes russes sur le continent. La Russie a réussi à conquérir le quasi monopole du marché algérien. Cette stratégie a commencé par l’effacement total d’une dette algérienne de 4,7 milliards de dollars en 2006. Cette même année, un accord de plus de 7,5 milliards de dollars en armement a été signé entre les deux pays, portant notamment sur la livraison d’avions de combat russes.
L’Egypte quant à elle est le deuxième pays importateur d’armes russes, elle représente 33% des ventes.
Comme évoqué dans le paragraphe sur la Turquie en Libye, la mère-patrie de Vladimir Poutine ne fait pas que vendre des armes en Afrique. Elle déploie aussi des mercenaires du Groupe Wagner pour combattre aux côtés de l’ANL. Cependant, depuis 2018, l’entreprise privée est aussi déployée en Centrafrique en raison de l’incapacité du gouvernement à contrôler l’ensemble de son territoire depuis le départ fin 2016 des troupes françaises. Depuis 2014, une mission de maintien de la paix de l’ONU, la MINUSCA, est active en Centrafrique et tente de stabiliser la situation dans les principales agglomérations et contribue au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays.
Les mercenaires participent à la formation de militaires de la récente armée centrafricaine et à la protection personnelle du Président Faustin-Archange Touadéra. Cependant, comme l’ont remarqué des membres du Projet FOX sur notre Discord, les mercenaires sont aussi présents aux côtés des militaires lors d’opérations contre les groupes rebelles.
La Chine, le mastodonte
Le Sénégal, pays généreusement servi
Déjà deuxième partenaire commercial, la Chine est également le premier investisseur dans le pays. Elle a par exemple financé à hauteur de 800 millions de dollars une autoroute de 113 kilomètres reliant les régions de Dakar, Thiès et Diourbel, dans l’est du pays. De plus, elle a investi en 2018 près de 50 millions de dollars dans un stade de lutte flambant neuf à Dakar, un sport national pour les sénégalais.
Djibouti, le point de passage des nouvelles routes de la Soie en Afrique
À Djibouti, pays où elle a installé son unique base militaire en Afrique, la Chine a investi plus de 12 milliards d’euros depuis 10 ans. Inaugurée en 2017, cette base, située à proximité du port international, abrite environ 250 soldats chinois. Selon certains spécialistes, ils pourraient être 10 000 en 2026.
Suite à quelques inquiétudes sur le poids de la dette, la Chine se veut rassurante avec ses partenaires africains. Elle n’est pas là pour adopter une position d’hégémonie mais sa stratégie africaine est importante dans le cadre de sa guerre commerciale avec les États-Unis.
Cette confrontation va être scrutée par tous les observateurs dans la décennie à venir, tant les enjeux seront importants entre les premières puissances mondiales.
Le Projet FOX ne manquera pas d’informer ses membres de toutes les évolutions à venir, sur Discord tout autant que sur Twitter.