La Libye aujourd’hui

La Libye aujourd’hui

Article mené en partenariat avec @NeuroneIntel

Depuis la chute du dictateur Mouammar Kadhafi la Libye est victime de conflits et de guerres civiles avec de nombreuses implications étrangères controversées. Alors qu’une solution démocratique semble se profiler pour la fin de l’année, le Projet FOX vous propose d’analyser la situation libyenne actuelle.

L’histoire libyenne

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Libye était occupée par les forces alliées. Elle a obtenu son indépendance en 1951 et devint une République. Rapidement, elle devient le premier producteur de pétrole d’Afrique, s’assurant une prospérité économique forte et le développement d’infrastructures. Cependant, en 1969, Mouammar Kadhafi prend le contrôle du pays grâce à un coup d’État. Il le dirige avec une main de fer, n’hésitant pas à exécuter ses rivaux potentiels. Son comportement imprévisible et extravagant le rend redouté par ses voisins et les puissances occidentales de l’époque. Kadhafi a notamment soutenu plusieurs groupes terroristes dont l’Armée républicaine irlandaise et la Fraction armée rouge.
 
Durant le printemps arabe en 2011, la révolte contre le dictateur commence en février à Benghazi où 173 manifestants perdent la vie le premier jour. Des pays étrangers dont la France commencent à armer les révolutionnaires. L’OTAN joue un rôle majeur en s’engageant dès mars à l’initiative de la France.
 
Des mercenaires sud-africains ont été embauchés par Kadhafi pour combattre en Libye. L’ANC (Congrès national africain), un parti politique sud-africain aurait joué un rôle important dans le financement de ces mercenaires selon un récent reportage d’Arte. L’ANC avait été financée par Kadhafi à ses débuts.
 
Le 20 octobre 2011, Kadhafi meurt à Syrte après avoir été capturé vivant par les forces du CNT (Conseil National de Transition).
 

Des élections sont organisées le 7 juillet 2012, le Congrès Général National (CGN) remplace le Conseil National de Transition. Dès juillet 2013, des groupes armés contrôlent des installations pétrolières. Le CGN applique la charia et prolonge son mandat sans réelle base juridique.

Dès lors, le général Khalifa Haftar, alors puissant chef militaire du CNT, déclare le CGN illégal et souhaite organiser de nouvelles élections. En mai 2014, une opération militaire est lancée par Haftar, il prend rapidement le contrôle de Benghazi aux dépends des islamistes. Depuis la Libye est dans sa deuxième guerre civile.

Depuis la chute du dictateur Mouammar Kadhafi, la Libye est victime de conflits et de guerres civiles.

Aujourd’hui, cette Libye meurtrie, est coupée en deux avec le Gouvernement National Libyen (GNA) basé à Tripoli à l’ouest du pays reconnu par l’ONU et l’Armée Nationale Libyenne (ANL) du général Haftar à l’est soutenue par la Chambre des Représentants de Tobrouk. La deuxième guerre civile libyenne oppose ces deux camps depuis 2014. Un cessez-le-feu est en vigueur et est respecté depuis le 21 août 2020. Cependant, cette situation reste précaire en partie à cause du renforcement régulier de leurs forces respectives dans les environs de Syrte, l’actuelle ligne de démarcation entre les deux camps.

Ce qui fait la particularité de ce conflit, c’est le nombre de milices des deux belligérants qui ne disposent pas d’armée régulière. Selon l’ancien Premier Minsitre Mahmoud Jibril, il y aurait plus de 1800 milices aujourd’hui en Libye.

Rapport de l'Inspecteur Général Principal au Congrès des Etats-Unis - Novembre 2020
Rapport de l'Inspecteur Général Principal au Congrès des Etats-Unis - Novembre 2020

Une situation figée due à l’internationalisation du conflit

De son côté, le GNA est soutenu principalement par la Turquie et le Qatar.

La Turquie a envoyé du matériel et du personnel pour soutenir les milices du GNA, y compris des ingénieurs et des techniciens qui exploitent des systèmes de défense aérienne ainsi que des drones turcs TB-2. De plus, la Turquie assure un bouclier anti aérien grâce au déploiement de frégates de classe Gaya le long des côtes du GNA. Elle a également acheminé via des navires cargos civils des systèmes anti-aérien KORUT, des canons automoteurs T-155 Firtina et des systèmes de brouillage électromagnétique provenant du système de guerre électronique du Koral. Grâce à ce soutien, le GNA a pu acquérir une supériorité aérienne déterminante face à la LNA.

La LNA est de son côté, soutenue par la Russie, l’Egypte, les Emirats-Arabes-Unis ou encore la France.

Le Président russe Vladimir Poutine a décidé d’envoyer, face à l’ingérence turque, des mercenaires avec des avions de combat et des équipements de défense aérienne.

Les mercenaires russes Wagner ont déployé des systèmes antiaériens Pantsir S-1. Un système a d’ailleurs été abandonné lors de la prise du contrôle par le GNA de l’aéroport d’Ouatiya. Les Etats-Unis ont pu profiter de cette occasion pour récupérer le système russe afin de l’examiner. Les mercenaires du groupe Wagner ont aussi déployé des avions de combat russes MiG-29A. Au total, selon un rapport de l’ONU, 2000 mercenaires russes seraient déployés en Libye en soutien de la LNA (AFRICOM a estimé en septembre 2020, environ 3000 mercenaires du groupe Wagner). Toujours selon le même rapport, le Groupe Rossiskie System Bezopasnosti serait également présent près de Bengazi dans le cadre d’opérations de déminage mais aussi des missions d’entretien des MiG-29A.

Début juin 2020, l’offensive du GNA a marqué un tournant dans ce conflit qui s’enlisait depuis 2014 grâce à l’appui des drones TB-2 et des renseignements turcs, la LNA est alors repoussée des portes de Tripoli vers Syrte en quelques semaines. La stabilisation de la situation s’explique aussi par l’appui du Groupe Wagner à la LNA et la définition de Syrte comme « ligne rouge » par l’Egypte.

Selon le rapport de l’ONU de mars 2021, les mercenaires syriens en Libye étaient « de 4 000 au début de la période, leur nombre a atteint 13 000, en fonction du conflit, de la dynamique régionale et de la disponibilité de fonds. Au moins 4 000 combattants syriens étaient sous le commandement des forces affiliées au Gouvernement d’entente nationale [GNA], dont 250 mineurs. ». On a alors retrouvé des combattants syriens des deux côtés du conflit, une situation qui peut rappeler la présence de mercenaires suisses lors de différentes guerres en Europe du moyen-âge jusqu’au 18e siècle.

Les relations entre la Turquie et la Russie étant fragiles, les Ankara et Moscou avaient tout intérêt à éviter une énième confrontation par procuration. Le rapprochement fragile de ces deux pays en Syrie risquait d’être mis en péril.

D’un conflit régional à des tensions diplomatiques fortes entre puissances

Si le conflit libyen était jusqu’en 2020 presque vide d’ingérences étrangères, l’intervention turque a alimenté des tensions entre la Turquie et d’autres puissances comme la Russie, les États-Unis, la Grèce et la France. L’embargo européen d’exportations d’armes vers la Libye a été violé à de multiples reprises.

Retrouvez notre article sur l’influence de puissances étrangères en Afrique.

Un incident a même éclaté entre la fréagate Courbet de la Marine Nationale française opérant dans le cadre de l’opération militaire IRINI de l’Union Européenne et la frégate turque Orucreis. Ces derniers ont refusé un contrôle d’un navire civil en provenance de la Turquie vers le port de Misrata, sous le contrôle du GNA en Libye. La Marine turque a alors procédé, après un échange radio, à trois illuminations via son radar de tir envers le bâtiment de guerre français. Une illumination radar, est une phase de préparation au tir de missiles. Cela a engendré un incident diplomatique entre les deux pays pourtant membres de l’OTAN.

Un espoir politique

Le vendredi 5 février 2021, à Genève, dans le cadre du Forum du dialogue politique libyen (FDPL), Mohammad Menfi a été élu Président du Conseil Présidentiel avec Abdul Hamid Dbeibah comme Premier Ministre. Toutes les factions ont salué cette élection autant du côté de la LNA que du GNA.

Le 11 février, le nouveau Président s’est rendu dans un village de Benghazi pour rencontrer le Général Haftar. Le pari est de reconnaître l’autorité de ce dernier en échange d’une nouvelle base de soutien, vital pour un gouvernement qui entend exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire.

Le gouvernement comprend deux vice-premiers ministres, 26 ministres et six ministres d’État, cinq postes, dont les portefeuilles clés des affaires étrangères et de la justice, ayant été confiés à des femmes, une première en Libye. Le rôle de ce gouvernement de transition est d’organiser des élections nationales le 24 décembre prochain afin d’avoir un nouveau gouvernement central et ainsi réunifier la Libye.

Cependant, l’ONU a révélé le 28 février dernier que le nouveau Premier Ministre aurait pris le pouvoir après que ses partisans aient offert des pots-de-vin allant jusqu’à 200 000 dollars pour attirer les votes. Ses partisans auraient offert cet argent dans un hôtel de Tunis où un forum de dialogue politique de 75 personnes, sélectionné par l’ONU, s’est réuni pour élire le premier ministre par intérim.

Le nouveau Premier Minsitre a prêté serment devant la Chambre des représentants dans la ville orientale de Tobrouk le 15 mars 2021. La semaine précédente le Parlement avait approuvé son cabinet.

Depuis, les membres du gouvernement d’union nationale multiplient les voyages à l’étranger afin d’obtenir des soutiens politiques et le retrait des forces étrangères de Libye.

La France a rouvert son ambassade à Tripoli le 29 mars. Le Premier Ministre maltais Robert Abela a également annoncé une réouverture de son ambassade.

Après 42 ans de dictature et une décennie de violences, les défis restent nombreux pour la Libye mais l’espoir d’un apaisement et d’une prospérité est plus fort que jamais.

Le Projet FOX ne manquera pas d’informer ses membres de toutes les évolutions à venir, sur Discord tout autant que sur Twitter.